Mardi 26 juin 2007 à 19:50

Nuits Encensées


Je. J'aurai pu me représenter sous une autre personne. Dire que j'étais lui, lui, qui était là, et, moi qui racontait ce qu'il a vécu. Un point de vue extérieur, mais, comment donner une opinion extérieure quand tout se passe de l'intérieur ?

J'étais, le suis-je encore, peut-être, unique, mais, comme tous les autres. Le matin, je découvre, ébahi, la lumière qui parvient à passer entre le mur et le volet de ma chambre, fermée, elle, à double tour. Dans mes couettes défaites, je tente de faire de même pour me sortir de mes rêves éteints depuis quelques minutes. J'ai chaud. Il est sept heures, il est tôt, nous, nous ? Pourquoi nous ? Je suis dimanche. La fumée de l'encens indien de la veille est encore là, mes yeux, aussi, sont enfumés, un brouillard matinal pour se sortir de la pénombre nocturne. Mon premier geste, après avoir réussi à me relever, et à tenir debout, sans les mains appuyées contre le rebord de la fenêtre à contempler mon volet. Non. A me contempler. A contempler mon non reflet sur la vitre. Un autre moyen de contempler son âme. Je suis vide et je me dirige vers mon bureau, je m'assieds, je passe ma main, car je n'ai que celle-là de disponible, dans mes cheveux ras, une poussière de pellicule doit sûrement se dégager de là, j'ai la main grasse, les cheveux sales, aussi, mais, j'ai beau parler, il ne se passe rien, comme chaque matin, chaque matin est un dimanche à sept heures où mon rituel est d'attendre que je me réveille, j'ai l'impression de ne pas dormir de la nuit, et, pourtant, je rêve. Mes rêves me fatiguent.

Quoi de mieux, pour une personne de mon âge, que d'aller à l'université ? J'ai soif de connaissance. Je suis assidu en cours, jamais un étudiant n'aura été plus présent en cours que moi, et, pourtant, je n'avance pas, je patine, mes pages se remplissent de mots pendant qu'un homme, ou une femme, parle, sans arrêt, de choses, d'autres choses, parfois de leur vie, voire de rien, de quoi ? Je ne sais pas. Je n'écoute pas, j'écris. Mes pages se remplissent de mots. Des mots qui s'enchaînent. Tous ont un sens, mais, ensemble, ils ne veulent plus rien dire. Un peu comme le groupe dans lequel je me trouve. Entre deux cours, il nous arrive. Il m'arrive, parfois, d'avoir du temps. Certains se rassemblent, en cercle, pour discuter, pour passer le temps, pour travailler, réfléchir, débattre, rire, pour rien, parce que cela ne se fait pas d'être seul. Je prends mon temps, pour moi, j'ai toujours le temps, pour moi, parce que je suis toujours seul, sûrement. En cours, je suis au fond, pour voir et ne pas me faire voir, caché dans mon coin, je me replie. La sociabilité, en étant réservé ou timide, n'est pas facile dans un tel établissement, il m'est donc facile de me mettre à l'écart. Je suis l'inconnu aux multiples surnoms car personne ne le connaît, mon nom, mais pourrai-je le leur donner ? Parfois, certains tentent de briser cette montagne qui me sépare de ces êtres, on vient me bourdonner quelques mots à l'oreille, je ne suis pas sourd, mais, mon oreille l'est. Et ils repartent dans une nouvelle défaite face à mon insensibilité. Mon insensibilité face aux hypocrites cherchant des bouche-trous de service pour une heure, pour passer le temps et éviter de s'emmerder durant un cours qu'ils ont choisi de suivre mais la réalité est trop dure pour eux. La réalité n'est douce pour personne. Sauf quand on l'oublie. Il est midi, je suis midi, je ne mange pas, je n'ai pas faim, je mangerai plus tard, quand la faim viendra. Je ne me plie pas à ces habitudes de manger selon l'heure et non le ventre. Je traîne donc dans les couloirs, l'herbe des parcs, les bancs des cours et j'use, chaque jour, le gaz d'un briquet pour garder la forme. Si j'ai le temps, et je l'ai toujours, le temps ne se perd pas, je retrouve mon vendeur pour une nouvelle boîte d'encens que je consumerai le soir.

Les cours reprennent et se terminent. Naturellement, je ne m'éternise pas sur ce sujet. Chacun rentre chez soi ou court vers le bar le plus proche pour se prendre une bière entre amis en jouant au tarot, mais, comme la majorité des étudiants, je vais à l'arrêt de bus. Un bus toutes les quinze minutes. Quinze. Je rate mon bus, oui, le mien, naturellement. Je suis à une petite heure de chez moi à pieds, quatre bus, je décide de rentrer chez moi, mes quatre bus sauront s'occuper sans moi. Je prends le chemin des écoliers pour retrouver mon intimité. Deux heures. C'est plus long. Je passe par les petites ruelles noires même en plein jour. Les petites ruelles noires. Comme quand je plonge dans mes pensées : je n'y vois rien et je n'ai rien pour m'éclairer, je fouille à l'aveuglette, je tâte de mes mains ces pensées parfois impensables impalpables inexistantes. C'est un peu chez moi, ces ruelles sombres, je n'y vois rien, je ne fais que longer le mur de cette pierre lisse, et, parfois, je touche quelque chose, jusqu'à ressortir, la lumière qui ne m'éclaire pas, non, elle ne m'aide pas, elle m'éblouit. Je me sentais mieux dans le noir.

Chez moi, enfin, après cette longue journée d'études remplie de rebondissements, d'activités jouissives, de lutte pour combattre les autres. Chez moi. Je suis tranquille. Seul. Je m'enferme, toujours. J'ai faim, je me prépare un plat, sans oublier d'allumer quelques bâtons d'encens, je m'enfume. Je cuisine, un minimum. Je mange équilibré, j'ai, peut-être, l'intention de vivre longtemps. A table, ou plutôt sur le tapis, un beau tapis de je ne sais quelle origine qui meuble la pièce centrale de mon appartement, un simple tapis, entouré de bâtons d'encens, un tapis, au milieu duquel je mange mon plat avant de m'allonger, avant de saisir la mini télécommande dont je n'utilise qu'un seul bouton pour mettre ma musique en route. Douce, calme, brutale parfois, mais, surtout, enivrante. Je me saoule de cet instant en absorbant toute cette fumée, et, en inspirant, ce son. Je finis par m'étendre, sur le sol, et, les yeux fermés, je contemple mon plafond, oui, je le vois.

Je ne sais exactement quelle heure il est, pas trop tard, normalement, je me relève et titube, ivre de mon repos, vers ma chambre, je retrouve mon lit et ses couettes à l'envers, mes oreillers par terre, mes quelques posters déchirés, mon volet fermé, mon bureau où règne un capharnaüm inimaginable. C'est drôle. Ha ha ha. Oui, riez. C'est comme dans ma tête, plus rien à y comprendre, c'est le bordel. Je ferme ma porte. Je m'installe à mon bureau, le mien, je reprends mes copies inondées d'encre noire, et, je réécris, au propre, dans des cahiers, des cahiers qui s'amoncellent, un peu partout autour du bureau, certains sont vierges, d'autres pleins, ou, entamés. Tout cela donne soif, heureusement, j'ai un mini frigo, rempli de thé glacé, fait maison, bien sûr. De quoi étancher ma soif un court moment. Court, car j'ai toujours soif, ma soif de connaissance n'est jamais alimentée, alors je bois. L'heure tourne. Le temps tourne, ma tête tourne avec lui. Le temps et moi tournons dans notre labeur, sauf que je fatigue, le temps ne se fatigue pas, lui. Epris de fatigue, je me relève donc de ma chaise, mes fesses, elles, se sont déjà endormies sur celle-ci, je titube jusqu'à mon lit, enfin, je n'ai pas le temps de tituber que je me retrouve déjà dessus. J'ai oublié d'éteindre la lumière, je débranche donc la prise, juste à côté de mon lit, pour, enfin, laisser la pénombre s'abattre sur mon corps, pour laisser mon esprit se faufiler dans le monde de la nuit, pour me laisser mourir dans les bras de Morphée. La tête à l'envers, les mains retournées. Je m'endors.

Tu. Tu es là, devant moi, lorsque je rouvre les yeux, quelle n'est pas ma stupeur de te revoir, toi, ici, en ce jour, un dimanche ? Je suis ébloui, si tôt, tu as ouvert mon volet, je vois, pour la première fois, ce dépotoir, non, cette chambre, combien de temps ai-je dormi ? Longtemps, trop longtemps, ai-je l'impression. Mon tapis, toujours là, ouf, mais tu es là, devant moi, un dimanche, tout est prêt, le café, je n'en bois pas, je n'aime pas ça, tu le sais bien, son odeur me donne la nausée. Une tasse de thé me suffira, avec un bâton d'encens. Tu me prends par le bras, je ne sais où tu m'emmènes, j'ai juste le temps d'enfiler un pantalon, non, je ne l'ai pas retiré hier soir, je suis encore habillé. Tu me tires par le bras, dehors, sur le balcon, j'ai un balcon ? Là, devant moi, la ville, cette lumière éblouissante, chaleureuse, je sens cette chaleur contre ma peau qui me réchauffe, je sens ta présence à côté de moi qui me réchauffe, je sens comme un sourire qui me monte à la tête et je danse, je danse de voir toute cette lumière enivrante, cette chaleur réconfortante, je saute du haut de mon balcon et m'envole vers d'autres cieux, je m'élève au plus haut des cieux comme pour m'asseoir sur le trône d'un dieu. Cette fois, je te prends par le bras, je t'emmène au milieu des gens, là, je te prends dans mes bras, je pointe le ciel de mon doigt, le soleil est là, mais il ne nous éblouit pas, il nous éclaire. Sur la pointe des pieds. La Terre descend. Des petits points, les gens s'en vont. Nous voilà, enfin, dans notre monde. Dans mes bras, je t'enlace, nous fondons, nos corps disparaissent en une seule et même poussière d'âme.

Nous sommes face à face sur ce toit, cette terrasse, où l'on a vue sur tout, aux serveurs grouillant de tous les côtés, gesticulant et grondant comme un train arrivant en gare, mais je n'entends que toi, tu me parles, tu es là, devant moi, face à face, je ne sens plus mon corps, tu es là, c'est tout ce qui m'importe, c'est tout ce que je veux.

Soudain, une folle, accompagnée d'un rat énorme, débarque devant nous, elle nous sépare d'un geste brusque en hurlant des phrases incohérentes à nos oreilles, je ne lui dis rien, toi non plus, nous l'écoutons, ses paroles sont insensées mais nous les comprenons, une femme en folie accompagnée d'un rat raisonné, elle a perdu la raison, ou, plutôt, un rat s'en est emparé. Un serveur intervient, me tend un couteau, tu me le prends, je te l'arrache des mains, ça me perdra, je le sais, je me coupe le bout du doigt, une goutte de sang coule sur le tapis, en dessous de notre table, le tapis est tâché. La femme continue de meugler, le rat assis me fixe dans les yeux, je suis tétanisé. Tu me reprends le couteau, je ne bouge pas, tu te regardes dans le reflet du couteau, tu ne vois rien, tu te penches sur le rat, tu le poignardes.

Je rêve. Je me réveille. Au restaurant, tu me parles d'un vieux rat qui court dans les combles de ton immeuble, et, de cette femme appelant à l'aide pour des bruits suspects. Je me contente de serrer ce couteau de la main droite. Je suis gaucher, c'est perturbant.

Tout est confus dans ma tête, tu le sais. Je t'emmène, et, tu m'emmènes, nous nous emmenons. Nous retournons à l'appartement. Là, on y sera au calme, je le sais, tu le sais. Mon tapis, quelques bâtons, face à face, assis en tailleur, je tends ma main vers toi, tu tends la tienne vers moi. Parfait. La fumée inonde la pièce, le tapis se gonfle, je ne sens plus mon corps, seulement ta main contre la mienne. Le jour s'en va. Je ferme les yeux, tu fermes les yeux, nous fermons les yeux.

Je me réveille, le sourire aux lèvres, le volet est fermé, ma chambre également, à double tour, il est sept heures, il est dimanche, je suis perdu, encore, dans mes couettes, je ne suis pas seul, non, je sens une présence, je sens ma présence, je suis avec moi-même. Je. Il. Il se lève, perdu dans ses pensées, dans mes pensées, le brouillard dans ses yeux, il se regarde dans la vitre. Il me regarde dans la vitre, son non reflet. Il s'assied à son bureau, contemple ses cahiers, ce que de ma main il a écrit, il ne comprend pas, il n'a jamais compris. Il cherche une main, il n'y a que la mienne, pour se la passer dans mes cheveux sales. Je suis son fantôme, mais il n'est pas mort.


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