Dimanche 6 mai 2007 à 17:12

Il est seul. Il est détesté. Seul et détesté. Cet homme aime. Il aime sentir l'odeur de la rosée du matin, l'herbe fraîchement tondue, la sève des arbres, le craquement des feuilles mortes, la pluie ruisselante, le tonnerre, les éclairs, le pain perdu, le poisson, la viande rouge, marcher seul dans la rue en écoutant une tendre musique, dormir sous un arbre, boire un verre dans un bar enfumé, se jeter dans un tas de foin, monter des escaliers à cloche-pied, les femmes : il aime la vie.
Il est beau, gentil, attentionné, drôle, intelligent, et possède une quantité d'autres qualités qui font de lui un être parfait, mais, il ne peut être aimé…

Il est maudit…

Dès son plus jeune âge, quand on apprend à compter, lire et écrire, il subissait cette malédiction : assis, il s'amuse à donner vie aux objets de sa trousse, son stylo plume, son effaceur, son taille-crayon, un petit monde rien qu'à lui qui le tient à l'écart des autres. Ce qui attire l'attention d'une petite écolière, curieuse de voir un tel garçon s'isoler des autres. Les petits amours d'écoliers, les amours que l'on avoue qu'une fois adulte. Elle passe son temps à le regarder, à s'imaginer des histoires. Il continue de faire évoluer son monde, sa trousse est une station spatiale. Elle tombe amoureuse de lui. Elle garde cela dans son cœur, dans sa tête, et écrit son nom dans son journal intime, le petit journal rose avec des cœurs, et des mots doux à son attention. Sa trousse devient un autobus intersidéral. Après plusieurs petits carnets roses plein de cœurs, après une ferme martienne et un monstre galactique, elle traverse une rue sans regarder et un camion la fauche.

Au collège, son monde a bien changé, il a changé sa navette spatiale pour une nouvelle trousse. Quand on apprend que l'Homme s'entretue, il prenait sa malédiction pour de la malchance. Il est toujours dans son monde. Il cache dans ses poches des petits bouts de papiers en boule sur lesquels il écrit un mot, des petites pilules qui le calme quand son humeur se détériore. La préadolescence et les premières questions qu'on se pose, les personnes qui s'introduisent dans son petit monde, celles qu'il laisse entrer, la découverte du sexe opposé. Les filles. Elles sont curieuses de voir un garçon qui ne se laisse pas faire, qui assume son comportement, sa personnalité, son physique. Elles l'observent, elles en parlent entre elles, elles se jalousent, elles se battent pour qui va l'avoir en premier. Il avale ses pilules en papier et arrache une manche son t-shirt. Elles n'osent lui parler, trop impressionnées, trop peur de sa réaction. Son monde évolue, des phrases se construisent sur les bouts de papier, il n'ose pas parler aux filles, elles sont si différentes. Elles parlent de ce garçon à leur peluche intime, la peluche à qui on dit ce que l'on n'ose dire, la peluche qui ne juge pas, la peluche qui permet aux filles de lever un poids sur des questions sans réponses. Vient de là, peut-être, la maturité précoce des filles : des conseils silencieux de leurs peluches intimes. Il avale trois pilules de papiers après avoir remis à sa place un type qui voulait ses baskets. Elles n'en peuvent plus et viennent lui dévoiler leurs sentiments par une lettre anonyme et parfumée. Il sourit jusqu'aux oreilles, et s'endort le soir, l'esprit heureux de se savoir aimé. Le lendemain. Une fille s'est taillée les veines dans sa baignoire juste pour savoir comment ça fait. Une deuxième est décédée d'un accident de voiture après un restaurant avec ses parents. Une troisième a subi la colère de son père, la tête fracassée contre l'écran de télévision. Une quatrième a mangé la mort aux rats qui traînait au fond du garage. Une cinquième poignardée par un violeur furieux.

Le lycée, un nouveau monde, son nouveau monde, son nouvel eldorado, son nouveau paradis ? Tout a encore bien changé chez lui. Il a jeté sa trousse usée et trouée. Mais sa tête voyage toujours, dans les nuages, dans l'espace, dans le vide. Quand on apprend que vivre n'est pas comme dans les films, quand on réalise que Dieu n'est qu'un avatar de la bêtise humaine et que la Liberté ne se trouve parfois que dans la Mort mais que le suicide n'est pas une libération. Quand on balance entre l'insouciance de l'enfance et la violente réalité. Quand on a toujours l'Espoir dans l'inespéré. Il vit toujours dans son monde, un monde qui s'agrandit, un cœur qui s'agrandit quand il tombe pour la première fois amoureux. Une fille, comme lui, distante, qui ne regarde pas les gens dans les yeux, car c'est au fond des yeux qu'on voit la véritable personnalité. Une fille assise au fond de la classe et qui gribouille sur son papier, la tête baissée, les cheveux devant les yeux, son pied gauche qui tape tout le temps sur le sol à un rythme irrégulier, son nez qui respire l'hypocrisie de ses camarades de classe. Elle n'a pas d'odeur. Le soir, il se fait des films, il s'imagine la rencontrer, il s'imagine lui parler, il s'imagine. Il rêve. Un jour, après deux ans d'amour secret, quand tous les groupes d'amis se rassemblent dans leur QG sur le parking de lycéens, entre chaque bancs, elle, assise au pied d'un mur, attend. Il sort, claque ses deux pieds et s'envole sur le toit du lycée, il rouvre les yeux et avance vers elle, il déballe tout. Elle accepte. Ils claquent des pieds et s'envolent sur le toit du lycée. Ils rouvrent les yeux, se sourient et s'embrassent. Il est heureux, elle le découvre, elle l'apprécie, elle l'aime, elle meurt.

Il réalise, depuis tout ce temps, depuis tout petit. Il comprend la mort de sa mère à sa naissance, la fuite de son père quelques mois plus tôt. Ces filles mortes. Il doit vivre avec cela.

Son monde s'évanouit. Des femmes meurent autour de lui, par amour pour lui, inconsciemment. Il veut dire stop. Il pense aux différentes solutions. Mourir. S'enfuir. Se faire détester. Il change, envers elle, il devient odieux, insolent, insultant, les rabaisse, les insulte. Et il décide de ne plus aimer. Il sort le soir, dans des bars à poissons, pour se fourguer une nana pour un soir, pour une baise dans une chambre, l'amour jetable. De quoi se satisfaire sans provoquer la mort. De quoi tenir le coup pour ne pas désespérer.

Jusqu'à quand ?

Jusqu'au jour où une femme menace de l'aimer, une femme incarnée par sa personnalité. Il ne peut pas ne pas l'aimer mais il ne peut pas la tuer. A quoi bon. Son monde n'est plus depuis longtemps. Elle ne l'aime pas. Il ne l'aime pas. Mais ils se rencontrent, se parlent, font l'amour sans amour et s'avouent tout.

Il avoue sa malédiction. Elle avoue que chaque homme qui l'aime meurt.

Leurs mondes ont disparu depuis des années. Depuis qu'ils ont réalisé. Et ils se sont trouvées, pour bâtir un nouveau monde, un monde pour deux, un monde pour s'aimer, un monde pour mourir, ensemble.


Par Underthebloodsky le Dimanche 6 mai 2007 à 17:14
Ca fait quelques heures que je lis de tout et de rien sur ce site Cowblog, pour m'informer, pour découvrir des artistes.
C'est le cas. Et tu es le premier.
Tu écris divinement bien, et ça fait plaisir de lire quelqu'un qui n'écrit ni en sms, et qui évite les fautes d'orthographes.
Que de talent.
J'aime ce que tu as fait de ton blog, c'est très original.
Bonne continuation.
Heureuse de ne pas voir un Kikoolol dégéneré.
Par camnabis le Mardi 8 mai 2007 à 11:17
magnifique <3
 

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